Yunlihn était vêtu de son kimono traditionnel en soie noire et brodé d'un long dragon doré dans le dos. ses cheveux attachés en natte et ses lunettes carrées à montures transparente sur le nez. Il avait mal au dos et voulait s'accorder une pause, mais il savait aussi que tout devait être fait avant la tombée de la nuit et que Yuko ne serait pas aux anges si le travail traînait trop. Il consulta donc sa montre à gousset, portant les armoiries de Richard Cœur de Lion, ancien Roi d'Angleterre : c'était un cadeau de Yuko.

"Treize heures quinze, je pense que cela suffit pour le moment : j'ai bien avancé et devrais manger un morceau avant de reprendre. Bon, je vais prévenir Yuko et nous mangerons ici, dans les jardins, afin de rester près de... tout ce foutras. Yuko !"

Il avait appelé avec la voix la plus forte possible, se doutant que Yuko n'entendrait pas tout de suite qu'il l'appelait et qu'elle était sûrement affalée sur un fauteuil avec un saké et son fume-cigarette allumé...

"Elle est vraiment pas possible parfois. Je commence à comprendre son ancien apprenti (il eut un petit rire). Mais je dois vraiment beaucoup à Yuko-san et je l'aime vraiment aussi. Le moins que je puisse faire c'est mon boulot et supporter ses caprices... Yuko on va manger !"
*Elle a toujours été comme ça, je te rassure. Même avant de vivre à Tokyo, avant de venir ici...*

Comme une incantation la phrase eut pour effet de faire apparaître la Sorcière dans le cadran d'un panneau coulissant de la maison. Elle avait encore une de ces poses étranges, mais classes, et Yunlihn se demandait chaque fois si c'était un automatisme ou si elle se donnait un genre... Mais il optait pour la première option au final.

"Alors, tu veux manger quoi Yuko ?"

Yuko était dans le salon en train de régler certains détails qui la préoccupaient ces derniers temps. Une bouteille de saké était posées sur la table et son fume-cigarette dégageait de la fumée, signe qu'il servait actuellement. Elle prit d'ailleurs une bouffée et recracha un nuage de fumée qui prit la forme d'un papillon. La voix de Yunlihn dans le jardin la sortit de ses pensées. Combien de fois l'avait-il appelée ?

Ouvrant le panneau coulissant menant au jardin, Yuko s'adossant à la partie droite de celui-ci en tendant sa jambe gauche vers l'autre partie et portant son fume-tabac à la bouche. Au regard de Yunlihn elle devinait ses pensées : *encore une pose zarbe* pensa-t-elle en ses termes à lui et elle eut un petit sourire ravi.

"Alors, Yunlihn-kun, que vas-tu préparer ? Oh, je sais : des onomyakis et des sashimis de saumon. Et aussi des sushis et ton délicieux plat... tu sais, ce délicieux gratin de pommes de terres"

Yunlihn eut un instant un air dépité avant de répondre. Yuko l'observa avec un sourire tendre, elle savait à quoi il pensait et aussi comment l'amadouer.

"Yun, j'ai une bouteille d'un excellent saké à la cave, j'irais la chercher pendant que tu fais à manger. Je pense que c'est un bon jour pour boire cette bouteille-là... (son regard se perdit un instant). Oh, et l'histoire de certains de ces objets pourrait t'intéresser, je te la raconterais en compensation de tes plats"

Elle lui adressa un clin d'œil et s'en fut vers la cave en chantonnant. Dans son dos, Yunlihn était déjà en train de s'atteler à la tâche et Yuko salivait déjà en pensant au repas à venir.

*Quelle renarde... Elle a l'art de me demander de cuisiner des trucs pas possibles à des moments comme ça. Le pire c'est je suis sûr de trouver tout ce dont j'ai besoin dans la réserve. A croire qu'elle prévoit vraiment tout...*
*Elle est quasi omnisciente, souviens-t'en*

Yuko était déjà repartie vers la cave et chantonnait en trottinant, pas vraiment l'image sérieuse qu'elle donnait devant les gens de l'extérieur... Yunlihn se demandait toutefois pourquoi aujourd'hui en particulier serait un bon jour pour boire le fameux saké. Il se hâta vers la cuisine et... en effet ne chercha pas bien longtemps pour trouver de quoi faire tout ce que Yuko avait demandé.

"Mais comment elle fait ? Cette femme doit vraiment tout planifier quand elle me demande de faire quelque chose, je suis sûr qu'il va aussi se passer quelque chose pendant qu'on boira son saké et que je finirais de nettoyer et ranger les objets dans le jardin cet après-midi..."
*Il y a fort à parier, oui*

Yunlihn n'aurait su dire à ce moment précis si Kurai l'approuvait ou si elle avait réellement pressenti quelque chose. A vrai dire, il préférait ne pas penser à tout cela et se concentrer sur la cuisine. Une heure et demie s'écoula et Yunlihn apporta enfin tous les plats sur la table du jardin, à laquelle Yuko était assise et fumait encore. Yunlihn soupira et décida lui aussi de s'en griller une avant de manger. De toute manière tout se mangeait froid et le gratin de pommes de terres était si chaud qu'il le resterait un bon moment.

Yunlihn s'était une fois de plus surpassé pour faire la cuisine, et Yuko avait les yeux qui pétillaient devant tout ces beaux plats soigneusement préparés et présentés. Elle fut étonnée que Yunlihn s'allume une cigarette juste avant de manger, mais après tout il avait travaillé toute la matinée et cuisiné dans la foulée sans en allumer une seule. Elle le savait : il n'aurait pas pris le risque de mettre des cendres sur les objets à ranger d'une part et d'autre part ses vêtements ne sentaient pas la cigarette.

"Et bien, j'imagine que tu l'as bien méritée celle-là : tu as fait un peu plus de la moitié du boulot, tu est vraiment efficace. Bien ouvrons cette bouteille de saké"

Yuko déboucha la dite bouteille et sentit le goulot avec un air ravi, puis elle servit deux petits verres à saké et en tendit un à Yunlihn. Puis elle en sortit un troisième qu'elle ne remplit pas tout de suite, comme attendant de la visite.

"je t'ai promis de t'en dire plus sur certains objets en compensation pour le repas, lequel t'intéresse ?"

Yuko observa Yunlihn et attendit qu'il se décide, même si elle savait déjà : elle voulait qu'il le dise à voix haute.

Ça, Yunlihn l'avait méritée sa clope. Il avait bossé comme un forcené toute la matinée, sans même s'accorder une seule pause, même s'il lui était possible de le faire. Son seul regret à l'instant était de ne pas pouvoir donner de belles ou étranges formes à la fumée qu'il crachait, Yuko avait un vrai talent pour cela. Cela dit le jeune homme la soupçonnait franchement d'utiliser la Magie pour ça, mais même ainsi il n'obtenait pas de grands résultats...

Le saké de Yuko sentait vraiment bon, comme un arôme de cerise flottait dans l'air, mais pourquoi avait-elle sorti trois verres ? Yunlihn savait maintenant qu'il avait vu juste pendant qu'il cuisinait : quelque chose ou quelqu'un devait arriver pendant le repas ou juste après. Ça serait quoi cette fois ? Un simple client ou bien un être surnaturel à la recherche d'un service... que Yuko ferait accomplir par Yunlihn, dans tous les cas le boulot serait pour lui de toute manière.

Quand Yuko proposa à Yunlihn de lui raconter l'histoire de l'objet de son choix il réfléchit un instant en scrutant le foutras étendu sur des draps dans le jardin.

*Elle a l'art d'être directe... Mais quel objet vais-je... ?"

Il interrompit sa pensée en apercevant une bague d'argent magnifique, montée d'un grenat resplendissant. L'objet le fascinait étrangement et Yunlihn l'indiqua à Yuko.

"Cette bague, elle a quelque chose de spécial, n'est-ce pas ?"

*Comme de juste*

Yunlihn avait aperçu l'objet dont Yuko était sûre qu'il attirerait son attention : le Destin était vraiment capricieux pour que le jeune homme ne remarque cette bague que ce jour-là alors qu'il avait tant de fois explorer la réserve pour lui trouver un objet spécifique. Yuko eut un sourire tendre, et nostalgique aussi, et commença son récit.

"Cette bague a une histoire vraiment intéressante, Yun. Tout commence il y a cent dix ans quand une Valkyrie, Déesse vouée au combat et à la destruction des Monstres, tomba amoureuse d'un Démon revêtant l'apparence d'un Lynx majestueux plus grand qu'un Humain. Leur idylle attira les foudres des deux camps et ils décidèrent de s'exiler parmi les Hommes et d'y vivre comme eux, c'était la condition à leur liberté : nul ne devait savoir ce qu'ils étaient. Il y a quatre décennies naquirent de leur union deux sœurs, des jumelles, qui héritèrent de leurs natures combinées : mi-Déesses mi-Démons..."

Yuko respira avant de passer à la suite, car l'histoire devenait triste à présent et Yunlihn n'avait pas l'air de comprendre ce qui était impliqué.

"Les jumelles grandirent comme de petites Humaines, allèrent à l'école en tant que telles,... le soir leurs parents leur apprenaient le kendo et les anciennes incantations pour protéger ou nuire. Ils leur apprenaient que la vie a plus de valeur qu'aucune autre chose et qu'il fallait la préserver et non la détruire... Quand elles eurent seize ans elles connurent enfin leurs origines et choisirent leur voie. L'une devint une prêtresse pourfendeuse de Monstres et l'autre... après maintes pérégrinations elle finit par rejoindre le camp opposé ! Cette bague fut quant à elle forgée quand la prêtresse fut intronisée : elle permet à celui qui la porte d'être grandement protégé de la Magie et elle est censée offrir une âme éternelle, les deux sœurs se sont déchirées entre autres à cause de ce bijou"

Yunlihn avait bu ses paroles mais ce fut seulement à la fin du récit qu'il sembla percuter le sens profond de la chose, il semblait avoir compris pourquoi Yuko lui avait tout dit de cette bague...

Yunlihn était littéralement captivé par le récit de Yuko et ne chercha pas tout de suite à réfléchir aux implications de cette histoire. Toutefois, quand Yuko eut fini pour de bon, Yunlihn sentit quelque chose comme un coup de point hyper violent dans l'estomac : il venait de réaliser et Kurai en lui s'était aussi agitée.

"Yuko cette histoire, c'est..."
*La mienne, oui.*

Kurai avait été catégorique et Yunlihn observa la bague et Yuko successivement, plusieurs fois de suite. Ainsi il s'agissait là de la bague connue sous le non d'Akaï, "la rouge" : la bague que Kurai Tsukikuro avait porté toute sa vie de Tueuse de Monstres et qui l'avait sauvée plusieurs fois. Mais pourquoi tombait-il dessus maintenant ? Il ne l'avait jamais vue dans la réserve depuis des années et soudain elle lui apparaissait comme un phare en plein dans les yeux...

"Yuko, pourquoi ? Pourquoi maintenant ? Et pourquoi Kurai et sa sœur se sont-elles déchirées à cause de cette bague ? Une âme éternelle, est-ce seulement vrai ?"

La bague brillait un plus que plus tôt, comme un appel que Yunlihn ressentait dans tout son être et dans toute l'âme de Kurai. Était-ce...

"Le Destin... ?"

Yuko était partagée entre joie et tristesse : la bague Akaï avait beaucoup à apporter à Yunlihn, notamment une protection efficace contre la Magie d'adversaire plus faible ou de puissance équivalente, et la diminution de la puissance des sorts d'ennemis plus forts... toutefois, la bague avait aussi une histoire lourde bien qu'elle n'eut que trente et quelques années d'existence.

"Le Destin, oui... Je te l'ai déjà dit, Yun, tout n'est que fatalité : les choses sont inéluctables et se produisent car elles le doivent. Si cette bague n'a pas refait surface avant c'est parce que tu n'en avais pas besoin, notamment du fait que tu quittais peu la boutique... Mais à présent tu es plongé dans le monde extérieur, ne serait-ce qu'à l'Université de Valhalla et étant donné la population de celle-ci - comme les autres d'ailleurs - il y a fort à parier que cette bague te sera utile : bien des choses vont arriver, et tu devras y faire face..."

Yuko voulait être sûre d'être claire avec Yunlihn mais ne voulait pas trop lui en révéler, sur le Passé comme sur l'Avenir : le fardeau aurait-été trop lourd pour lui tant qu'il n'avait pas d'amitiés solides sur lesquelles se reposer.

"Akaï n'offre pas ce que les Humains nomment immortalité ou éternité, Yun, soyons clairs. Mais c'est en effet grâce à cet bague que j'ai pu transmigrer l'âme de Kurai dans ton corps : cette bague, par sa capacité à absorber la Magie, a pu servir de réceptacle temporaire à Kurai quand son corps a été détruit et c'est de là que j'ai pu réaliser son ultime souhait, celui de se réincarner immédiatement. Voilà en quoi je dis que ce bijou offre une âme éternelle, mais en réalité c'est temporaire : aucune âme ne saurait demeurer sans un corps et se réincarner des semaines ou des mois plus tard... Kurai a eu beaucoup de chance !"*

Yuko en disait plus qu'elle ne le voulait, mais Yunlihn devait savoir cela, il devait comprendre que si son corps mourait la bague ne le sauverait pas forcément et que dans ce cas le temps serait compté... elle eut une pensée inquiétante, en un sens, mais qu'elle garda pour elle.

*Kurai est à moitié une Déesse, c'est pour cela que j'ai pu accomplir le Rite de Transmigration sur elle, un sort divin qui ne saurait fonctionner sur un Humain et qui normalement est un tabou. J'ai moi aussi eu de la chance de ne pas être réprimandée pour cela, à croire que le Destin voulait que Kurai demeure en ce monde...*
"Bien, mangeons mon cher Yunlihn, ensuite tu as du boulot à finir"

Yunlihn écouta les réponses de Yuko, notant au passage qu'elle avait pris soin de ne pas lui révéler pourquoi Kurai et sa jumelle s'étaient réellement brouillées : sans doute était-il mieux que Kurai le lui révèle elle-même en temps voulu.

La bague brillait à présent d'un éclat rouge vif et semblait redevenue comme neuve, sortant tout juste de la confection ou de la vitrine. Haussant les épaules, le jeune homme passa le bijou à son annulaire droit et la bague brilla de plus belle quelques instants puis la lumière disparut et le bijou parut tout à fait banal.

*Oh ma belle Akaï, tu m'as tant manquée... maintenant je me sens vraiment entière, merci Yun-yun*
*Je ne comprends pas encore tout, mais pas de quoi. Je me sens bizarre par contre, comme si mon corps débordait d'énergie*
*C'est tout à fait normal, cette bague a gardé en elle une grande partie de la Magie qu'elle avait absorbée à l'époque... notamment une part non négligeable de ma propre énergie psychique. Ce que tu ressens, Yun, c'est mon pouvoir qui afflue en toi. A présent il va nous falloir reconstituer ma puissance d'antan et aussi... retrouver celle qui m'a tuée et lui faire comprendre sa douleur*

Yunlihn jeta un œil à Yuko, il en était certain : elle savait ce que Kurai et lui se disaient tout en faisant mine d'être absorbée par les arômes du saké. Mais il était content qu'elle sache sans rien dire pour autant, il appréciait chez Yuko qu'elle ne dise ou fasse que le nécessaire et si elle ne disait rien en cet instant, cela signifiait qu'il n'y avait rien à dire qui fasse avancer les choses.

Yunlihn commença à manger en même temps que Yuko, jetant de réguliers coup d'oeil à sa bague qui gardait un léger éclat n'étant pas dû à la lumière ambiante. Il n'avait pas tout compris, mais il voulait aider Kurai à recouvrer sa puissance de jadis, toutefois...

"Yuko, que se passera-t-il si Kurai venait à récupérer toute la puissance qu'elle avait autrefois, de son vivant ? J'ai besoin de savoir dans quoi je me lance..."

La première bonne chose était que la bague soit allée à Yunlihn, enfin, la deuxième bonne chose était qu'il n'avait pas été écrasé par son pouvoir (ce qui signifiait qu'il était bien préparé, comme elle le voulait, pour la porter). Toutefois, Yuko ne s'attendait pas à la question de Yunlihn (oui elle ne pouvait pas non-plus tout savoir et tout prévoir, quoi que proche de cela).

"Ce qui arrivera... Yunlihn, tu as conscience que je vais te demander une compensation pour te répondre ? (il approuva). Si Kurai recouvre la totalité de son pouvoir d'antan tu deviendras incontestablement très puissant, peut-être même plus que moi... Mais surtout... Kurai pourrait retrouver son véritable corps et ainsi littéralement ressusciter !"

Les mots avaient cinglé dans l'air comme un coup de fouet : Kurai n'était pas morte en un sens, son âme n'ayant pas rejoint l'Au-Delà mais étant passé d'un réceptacle à un autre... De plus la nature en partie divine de la demoiselle autorisait ce genre de choses. Toutefois, était-ce une bonne chose si elle retrouvait son véritable corps ? Qu'en penseraient les Divinités si celle qui avait été sacrifiée revenait à la vie ?

Yuko n'avait absolument pas la réponse à cela, elle ignorait ce qui allait arriver à la "fin" et préférait ne pas savoir car toutes les solutions avaient une contrepartie lourde : si Kurai ressuscitait Yunlihn perdrait une partie de lui-même et de ses pouvoirs, le rendant comme anémique définitivement, si elle demeurait en lui elle ne profiterait plus jamais des sensations d'être en vie et cela lui pèserait sûrement et la puissance de deux âmes combinées pourrait déchirer l'enveloppe charnelle à la longue... à moins que Yunlihn ne devienne vraiment plus fort et ne transcende lui-même sa propre nature et ne s'approprie celle de Kurai... ce qui était infaisable, même pour Yunlihn dont le corps était prévu pour s'adapter à la puissance de Kurai mais gardait une limite malgré tout.

"Ne t'en fais pas, vous saurez tous les deux en temps voulu ce qu'il faut faire. Vous ferez alors ce qu'il y a de mieux pour vous deux, je suis confiante. Seuls vos choix détermineront l'Avenir, gardez cela en tête tous les deux... Cette nourriture est exquise !"

Les paroles de Yuko résonnait encore dans le crâne de Yunlihn : Kurai pourrait retrouver son propre corps, être de nouveau elle-même, une Valkyrie avec du sang de Démon... ! Et était-il réellement possible d'être plus puissant que la grande Yuko Ichihara elle-même ? Il avait du mal à envisager une telle chose, qu'est-ce qui pouvait être plus puissant que cette femme sinon les Dieux ? Et il n'en était pas un, ni n'en serait jamais un.

"Yuko, je... que veux-tu pour cette information ? Je payerais le prix qu'il faudra, je connais le système à présent (la femme fit un signe du menton en direction de la boutique). Je vois, je vais devoir ajouter quelques années de boulot ici..."

Yunlihn était content de cette réponse : il aimait travailler ici, et même si cette information serait déduite de son salaire il ne pouvait qu'en remercier Yuko pour son honnêteté. Il sentait lui aussi que quelque chose se préparait, quelque part, mais il n'aurait jamais imaginé qu'il serait au centre de quoi que ce soit. Cela dit, il était le disciple de la grande Yuko après tout et il était sans doute normal qu'il soit impliqué de très près dans les événements liés au surnaturel.

*Pour l'heure j'ignore ce que je ferais, Yunlihn, alors n'y pensons pas et récupérons mes pouvoirs doucement mais sûrement, en prenant notre temps. Il n'y a pas d'urgence... le Temps de l'Ombre n'est pas encore venu*
"Le Temps... de l'Ombre ?"

Il avait machinalement parlé à voix haute et se félicita intérieurement que ce ne fut qu'en présence de Yuko, qui avait le regard figé comme ayant une soudaine vision et posa ses baguettes à plat sur la table avant de se lever et s'éloigner à l'intérieur de la boutique... dont elle revint un instant plus tard avec une bassine d'eau et une boussole ancienne flottant à l'intérieur.

"Yuko, cet objet c'est... la Rose des Temps, non ?"

"La Rose des Temps, oui. Un artéfact capable de montrer à autrui les Avenirs possibles, pour cela le voyant doit faire passer ses visions par le miroir que l'eau forme autour du compas. Viens, Yun, approche et observe ce qu'est le Temps de l'Ombre... Un jour à la fois proche et lointain"

Yuko mit les mains en hauteur au-dessus de la bassine et du compas puis elle ferma les yeux en récitant une incantation en japonais ancien.

"Yuko Ichihara. Yunlihn Tsukikuro. Que ses yeux voient ce que voient les miens. Que son esprit sente ce que je ressens. Yuko Ichihara. Yunlihn Tsukikuro."

Dans le miroir d'eau se dessinèrent alors des ombres dans la brume, puis l'image se fit plus nette et l'on distingua Hysteria vue du ciel. Il y avait des flammes, la ville semblait en ruines, le ciel était parcouru de créatures ailées - des Anges et des Démons notamment - le sang coulait sur le sol et les cris résonnaient dans la nuit éternelle qui s'était abattue sur la grande métropole. Un rire froid et maléfique se faisait entendre mais il était impossible de dire s'il s'agissait d'un homme ou d'une femme qui en était la source. Au milieu des flammes l'on distinguait Yunlihn dans sa tenue de kendo et portant son kimono actuel, prêt à se battre aux côtés d'autres personnes... des ombres encore, impossible de voir qui pas même leur sexe ou leurs races. L'eau se troubla et ondula, la vision disparut.

"Voilà ce qu'est le Temps de l'Ombre, Yunlihn : une guerre comme le monde n'en a jamais connu. Et ce sera dans peu de temps car tu auras ton âge actuel environ. Hysteria... n'est pas une ville comme les autres, les êtres surnaturels se rassemblent ici plus qu'ailleurs et c'est ici que la plus grande des batailles que les quatre mondes - Enfer, Ciel, Esprits et Mortels - aient connu aura lieu. En compensation de cette révélation je... non, c'est inutile : la compensation est déjà payée depuis longtemps en fait."

Yunlihn semblait perdu et Yuko se sentit attristée qu'il sache tout cela si tôt. Il n'était pas prêt pour encaisser ça, pour se rendre compte que sur lui et les amis qu'il se ferait reposerait le Destin du monde. Pour l'heure, Yunlihn devait se faire des amis et en apprendre le plus possible sur la vie, ensuite seulement il pourrait se préparer aux batailles. Yuko le serra dans ses bras et attendit qu'il dise quelque chose avant de faire quoi que ce soit...

La vision apocalyptique dans le miroir avait secoué Yunlihn au plus haut point et il se demandait comment il pouvait encore tenir sur ses jambes tant il se sentait vidé. Alors c'était ça, la fin du monde aurait lieu sous peu et il jouerait un rôle central dans cette histoire... Mais le pouvait-il ? Était-ce pour cela qu'il été né ? Les questions se bousculaient dans sa tête tandis que Yuko le serrait dans ses bras et il s'abandonna finalement à cette étreinte chaleureuse.

"Yuko, suis-je réel ? Je veux dire : suis-je vraiment né de parents humains ou bien... ne suis-je que le corps réceptacle créé pour accueillir l'âme de Kurai mais que l'on a doté de son âme propre également ? Si tel est le cas, je ne le regrette pas, car j'ai pu te rencontrer et vivre à tes côtés, toi la plus belle femme au monde, la plus puissante des Magiciennes qui soit... Je te remercie... pour tout et aussi pour m'avoir donné la vie..."

Il se mit à sangloter dans les bras de la Sorcière qui le serra un peu plus fort contre elle. Il savait que si elle n'en faisait pas plus c'était pour ne pas avoir à recevoir une compensation : seuls les sentiments peuvent se donner sans retour. Soudain il se sentit flotter dans les airs, ses yeux étaient fermés et Yuko prononçaient des mots inconnus mais il se sentait de mieux en mieux... et fatigué.

*Yunlihn... Il le sent au fond de lui, qu'il n'est pas vraiment Humain, qu'il est vivant mais ne devrait pas forcément exister...*
"Pardonne-moi, mon cher Yunlihn c'est ma faute si tu souffres tant car pour réaliser le vœu de Kurai j'ai dû te créer en y mettant tout mon cœur à tel point qu'une âme s'est posée sur toi... Et ainsi le Destin tout entier fut bouleversé : le souhait de Kurai à ébranlé la balance cosmique, c'est de sa réincarnation que tout est parti et par votre décision à tous les deux le moment venu que tout finira... Votre décision et celle de ceux qui seront près de vous à cet instant."

Yuko relâcha son étreinte et un cercle magique apparut autour d'elle et du jeune homme. Elle en sortit à reculons tandis que lui flottait dans les airs et elle entama une incantation longue et inintelligible. Plus elle répétait celle-ci et plus le cercle brillait intensément et soudain... un flash lumineux, comme un soleil, irradia la boutique et Yunlihn retomba doucement au sol, endormi.

"Je crois que c'est mieux ainsi... Kurai et toi avez oublié tout ce qui concerne le Temps de l'Ombre et ce qu'il s'est passé aujourd'hui d'une manière générale. Tu dois vivre, Yunlihn-kun, car c'est le vœu des gens qui t'entourent. Sois heureux et vis ta vie comme tu l'entends... et reste près de moi."

Yuko téléporta Yunlihn dans sa chambre puis elle entreprit de finir le rangement elle-même. Son cher employé n'était vraiment pas en état de travailler même s'il se réveillait de suite, et puis elle avait là l'occasion de ranger correctement la réserve... ou de tout remettre en foutras comme avant.

*Il est bien ce garçon : il supporte mes humeurs, me fait à manger, range,... sans jamais se plaindre. Il me rappelle Watanuki, que mon alter ego d'un autre monde avait pour employé : ils sont assez similaires sur certains points, sans parler du fait qu'ils soient tous deux des êtres nés de la Magie et non pas d'une union... Oui, ils ont la même âme : ils sont gentils par nature, serviables, altruistes et surtout avec de grandes prédispositions en ce qui concerne le monde des esprit. Je me demande ce qu'il est devenu maintenant... Et l'autre Yuko n'est plus, impossible pour moi de le lui demander..."

Un soupir las s'échappa de sa bouche et elle se mit au travail. Le soir venu, un esprit vint à elle pour lui porter les dernières nouvelles de l'Autre Monde et elle paya en lui offrant quelques verres du saké à l'arôme de cerise que Yunlihn avait tant apprécié.

- Votre employé n'est pas là ? -
"Il se repose, ce fut une rude journée pour lui..."
- Sait-il... que ce saké est d'autant meilleur qu'il n'est exposé à un cœur pur et puissant ? -
"Non, mais il est vrai que les quelques années que ce saké a passé ici, à proximité de Yunlihn, l'ont rendu délicieux..."
- De la cerise, est-cela ce qu'il aime le plus ? -
"Et bien il adore les Sakura et..."
- Et ? -
"Je crois que c'est cela"

Yuko n'avait pas dit le fond de sa pensée : la cerise, c'était l'odeur qu'elle avait en sortant du bain le soir et que Yunlihn avait tout le loisir de sentir avant de dormir étant donné les heures indues auxquelles ils se couchaient après avoir bu comme des trous et fait des jeux de société. L'esprit, un Démon renard, s'en fut finalement et emporta le reste du saké avec lui. Yuko alluma son fume-tabac et regarda les étoiles...

"Voilà donc ce qu'il ressent... je suis touchée. Et je n'y suis pas indifférente non-plus, aucune femme n'est indifférente à un amour sincère et dévoué, et il est discret : je n'aurais jamais su sans ce saké, le cœur... est vraiment une chose impossible à lire et à prévoir..."